Reste innocent, il ne faut pas devenir aigri...
1) ma période de dépense maximale était le moment où je gagnais mon argent comme manoeuvre en maçonnerie. En Suisse, c'est mieux payé qu'en France mais ça gagne pas exactement comme un ministre. A cette époque je connaissais personne qui achetait des disques de reggae, donc ça n'avait aucun rapport avec le sound ou se tirer la bourre entre selectas pour avoir des trucs exclusifs. Il fallait envoyer des mandats postaux en Jamaïque, c'était un vrai merdier... Fallait faire des recherches coûteuses si le gars te disait que c'était pas arrivé...Pour moi, le seul lien entre le salaire et la dépense était le montant maximal possible à allouer à la musique à cette époque-là. Je crois pas qu'il faille chercher l'explication dans le salaire, dans mon cas il n'y en a pas, je claquais simplement tout ce que je pouvais et si je regarde les quelques autres cinglés dans le genre comme Jaman, Tonto, Noé et tant d'autres, je crois pas que ça soit le cas non plus... Le délire bourgeois vs prolo ou placement de son argent dans le reggae, c'est un délire de frustrés. Il n'y a qu'une passion dévorante qui puisse te conduire sur ce chemin. Je la survalorise pas, c'est pas un aboutissement, mais c'est vraiment pas un truc fade ou calculé, c'était intense et merdique à assumer, mais ça valait la peine de le vivre pleinement sans aucune hésitation. La frustration pour moi c'est plutôt maintenant où je découvre beaucoup moins de trucs qui m'envoûtent. Je suis nostalgique de cette époque sans souhaiter la prolonger.
2) à l'époque oui mais elles avaient pas le même goût parce que je les écoutais avec de la musique et je devais pas nourrir ma famille. Je te dis pas le merdier à toutes les fin de mois... j'avais une carte de crédit et je commençais le mois à zéro sur mon compte après avoir remboursé mes dettes, découvrir de la musique était une priorité, le reste n'avait aucune importance, l'argent avait une autre unité entre la vraie vie et la musique, c'était 2 compartiments séparés. J'ai vécu dans une grande coloc très longtemps avec des coûts de vie minimaux, j'y ai eu mon premier enfant et j'ai prolongé ce mode de vie jusqu'à ce que je réalise que ça n'avait plus de sens. Il faut dire que je découvrais déjà beaucoup moins de truc aussi. J'ai décidé de plus avoir de carte de crédit peu après avoir eu mon premier enfant. C'était une bonne idée. Et puis les prix devenaient vraiment impossibles au niveau de ma wantlist à partir de la fin des années 200X.
3) maintenant j'achète moins d'un disque (original) de reggae par mois et pas un seul collector dans le haut du panier. Le nombre de disques n'a jamais été important en soi. Un killer vaut 1000 fillers. Avancer pas à pas c'est toujours avancer. Sur la fin, j'ai mis quelques fois des prix absurdes (même si c'est subjectif), ce qui a nui autant au plaisir qu'à la démarche.
4) au pic je revendais des montagnes de stock. Faut dire aussi qu'on pouvait rien écouter donc il fallait élaborer d'autres stratégies pour découvrir des morceaux qu'aujourd'hui où t'as forcément déjà entendu le morceau avant de l'acheter. Cibler le label, le producteur, l'artiste, le titre... avec au final un taux d'échec assez élevé, surtout pour moi qui ait toujours été assez carré dans le sens j'adore / j'aime pas. Donc j'avais aussi du stock à revendre. Fallait vraiment être prêt à avancer dans la nuit en zone non défrichée, hormis les quelques magasins physiques où on trouvait peu d'oldies. Mais les prix étaient presque 10x moins cher pour les tueries. Il m'arrive encore d'en vendre quand j'ai besoin de cash. J'ai jamais eu d'argent à la banque, si j'ai besoin d'argent, je n'ai toujours pas de réserves, j'ai jamais vécu avec, donc il ne me reste que mes disques en cas de coup dur. Les échanges par contre c'est uniquement entre potes et c'est rare, j'ai jamais été sur facebook ou d'autres réseaux sociaux où je pense que ça se passe davantage. Je sais pas exactement comment ça se passe pour être safe.
5) Je pense pas que ce genre de chemins s'expliquent par un raisonnement, il n'y a vraiment rien de rationnel là-dedans. C'est sans doute une formule qui permet de s'en sortir face à ceux qui ne sont pas passés par là.
Voilà, ce chemin là ne peut plus exister aujourd'hui. Franchement, à l'époque déjà on se doutait que ça n'allait pas durer indéfiniment sous cette forme. Aujourd'hui c'est pas moins bien, c'est différent. Je suis sûr qu'il y a plein d'avantages à découvrir le reggae en vinyl aujourd'hui, l'accessibilité à la découverte et aux vinyles est beaucoup plus grande.Et puis pour les originaux ça c'est déplacé sur les réseaux sociaux, j'ai l'impression, il doit exister une nouvelle forme de réseautage. Mais à l'inverse, le chemin est déjà pavé et certains originaux paraissent vraiment inaccessibles et sont devenus de vraies pièces de musées, bien loin de leur lieu d'origine et du milieu qui les a enfanté. Je me doute bien que je verrais les choses tout autrement si je démarrais aujourd'hui, mais bon je peux pas revivre ce chemin. Alors explique nous comment tu vois les choses de ton côté. Et navré pour ma dernière tartine. Je ferais bref désormais....
